lundi 17 septembre 2007

Regardes derrière toi

« Regardes derrière toi ».
C’est le message qui venait d’arriver sur mon téléphone. Il faisait froid et mes doigts engourdis avaient eut du mal à extraire l’appareil de mes poches et pourtant je venais tout juste de sortir de chez moi. Nous étions en plein hivers, il était tout juste six heures du matin. La nuit était encore noire, les étoiles masquées par les nuages, mon visage réfléchissant la lueur verte du petit écran. Seul le silence est le son de mes pas venaient hanté les rues de la ville. « Regardes derrière toi », un message anodin qui à toute heure de la journée, ou bien si j’avais été chez moi, m’aurait fait sourire. Un message anodin qui, en cet instant, il me fit frissonner. Et c’est avec une soudaine bouffé de panique que je me retournais, dans la direction que je n’avais même pas pris la peine de regarder en sortant. À quelques mètres de moi, la porte de mon immeuble, puis la rue remontait en pente douce vers une avenue plus large toute aussi déserte à cette heure. Au-delà, la ville se terminait sur la forêt. Le trottoir était vide de toute âme, il n’y avait que le silence parfois estompé d’un peu de vent. J’ai essayé de sourire de cette blague, mais étrangement, je n’arrivais pas à me départir de l’impression de malaise qui m’avait pri. La sueur s’était mise à couler dans mon dos, sous mon lourd manteau, et mes mains étaient agitées d’un tremblement incontrôlable. Me calmant, je pianotais sur le clavier pour regarder à nouveau ce message. « Regardes derrière toi », le numéro de l’expéditeur était caché. Je jetais un dernier coup d’œil, me sentant stupide d’avoir eu peur d’un simple message ridicule, sentant la mauvaise humeur grimper en moi. Qui que soit ma connaissance s’étant amusée à m’envoyer ça, l’humour était de très mauvais goût. Je renfonçais mon portable profondément dans ma poche et me remettais en route. Je faisais ce trajet tous les jours, dix minutes de marche jusqu’à la gare, puis je prenais le train de six et quart en partance pour Paris. Je pointais le matin à sept heures à l’usine, j’y travaillais jusqu’à treize heures et j’avais fini ma journée. J’allais de temps à autre avec quelques collègues manger après dans un bistrot et prendre quelques bières, le plus souvent je revenais simplement chez moi, faisais quelques courses, regardais la télé et allais me coucher tout de suite après le journal. Pas de femme, pas d’enfant, même pas un chat. Je n’avais que quelques amis sur la région et je ne voyais pas lequel, exception faite sous l’emprise de l’alcool, pouvait me faire une blague aussi misérable.

Je marchais d’un bon pas, plus vite que d’habitude, le souffle court, je me retournais régulièrement. Je me trouvais ridicule de me laisser aller ainsi à la paranoïa, il était évident qu’il n’y avait absolument personne derrière moi. Mon pas résonnait avec force sur les façades des immeubles sombres qui tout autour de moi m’entouraient, m’oppressant, m’observant de leurs innombrables yeux aveugles et noirs. Sous mes pieds, les pavés me paraissaient plus tordus que la veille. Et où donc étaient passés les oiseaux, les marcheurs avec leur chien du matin et les voitures des retours de fête. « Du calme, du calme », tempêtais-je en moi-même, tout à une explication logique. Il fait nuit, les oiseaux dorment, nous sommes mardi, le lundi soir n’est pas propice à la fête, il fait terriblement froid, les promeneurs ont préféré leur canapé et le chien attendra les premiers rayons de soleil. Oui c’est cela. Mon Dieu, je deviens complètement paranoïaque. Un petit message, et me voilà pris de panique simplement comme ça. Alors que je suis au milieu de la civilisation… Endormie. Je ne m’étais jamais rendu compte avant ce jour à quel point, à cette heure, cette rue est déserte. Je pourrais tout aussi bien être au milieu des dunes, si l’on devait m’agresser à cet instant, personne ne viendrait m’aider. Je n’étais même pas sûr que quelqu’un se réveille.

Quelques dizaines de secondes plus tard, Je suis arrivé à l’intersection d’une autre avenue avec ma rue, au coin de laquelle se tenait un café, fermé, donc la devanture noire m’inspira pour la première fois de la crainte. J’avais la sensation que n’importe qui pourrait se cacher dans l’obscurité à l’intérieur et m’observer sans que je ne le vois. J’étais à la fois en train de sombrer dans la panique et en même temps ma colère grandissait. Contre moi-même d’être assez stupide pour paniquer pour si peu, et contre l’imbécile qui m’avait fait cette mauvaise plaisanterie. C’est à cet instant que mon portable vibra. Je sursautais et laissais s’échapper un petit cri qui me sembla terriblement fort en cet instant. Sans savoir pourquoi cela me bouleversait autant, je sortis l’appareil précipitamment de ma poche pour le consulter, manquant de le faire tomber… Un nouveau message m’y attendait.

« Je suis là, derrière toi, regardes bien ».
Immédiatement je retournais de nouveau, en proie à cette panique grandissante, galopante maintenant. Ma vision pulsa à mesure que le sang battait à mes tempes, insufflant sous mon crâne une légère pression douloureuse. Derrière, moi à quelques centaines de mètres, passât une voiture qui ne s’arrêta même pas au panneau stop et continua son chemin dans une rue perpendiculaire. Un éclair de mon univers si familier et qui me paraissait si perdu pendant que mes doigts blanchissaient en serrant mon téléphone. Mais ce fut tout ce que je vis. Les lampadaires, bien qu’espacés, éclairaient la majeure partie de la rue et aucune silhouette n’était visible. Mon Dieu, mais qui était le malade qui s’amusait ainsi avec mes nerfs. Malgré mon esprit conscient qui tentait de résonner sur l’imbécillité de la situation, quelque chose en moi, de plus animal, faisait enfler la peur. J’avais envie de courir mais je me raisonnais du mieux que je le pouvais. Je prenais conscience, à chaque seconde un peu plus, du silence étouffant, presque brutal, qui m’entourait. Pas un bruit, pas un pas, pas un animal, pas une fenêtre éclairée laissant s’échapper le son d’un téléviseur. Je me sentais terriblement seul au milieu de cette rue, la peur afflua en moi, brisant ma respiration, remplissant chacun de mes membres, débordant par chacun des pores de ma peau. Je tournais et me retournais sur moi-même plusieurs fois, mais je ne vis rien. Je réussis petit à petit à calmer ma respiration et finis même par percevoir au loin le léger bruit de la circulation. Mes mains tremblaient encore et plus que jamais le froid me saisissait dans sa chape, mais je me remis en marche, bien décidé à ne plus laisser la panique me saisir de la sorte.

Comme tous les matins, j’ai continué tout droit, traversant, préférant coupé par une petite rue qui faisait un angle plutôt que de rejoindre directement l’avenue qui descendait à la gare. À l’instant où j’allais m’y engager une porte s’est ouvert à quelques mètres sur ma gauche. Je me suis arrêté aussitôt. Était-il possible que… Non, je poussais un soupir de soulagement quand je vis une jeune femme sortir de l’immeuble, fermant aussi rapidement que possible la porte pour mettre ses mains au chaud dans son manteau. Elle me jeta un bref regard, fit comme si elle ne m’avait pas vu et pris la direction opposée à la mienne, perpendiculairement à la rue que j’allais prendre. Elle se retourna une fois sur moi après quelques mètres. Je crois qu’elle avait peur de moi, c’est vrai que je n’avais pas cillé une seule fois, mon regard posé sur elle pendant les quelques secondes qui s’écoulèrent. Je me reprenais, oui j’avais dû passer pour un fou à la dévisager comme cela. Je rigolais intérieurement. J’avais croisé un de mes semblables, je n’étais pas seul au monde, derrière ces façades anonymes le monde continuait de vivre et de respirer. Certains s’éveillaient, d’autres devaient déjà être en train de préparer le petit déjeuner. Oui, je me suis traité de bel imbécile d’avoir paniqué comme cela et me je remettais en route.
J’avais à peine fait dix mètres quand je m’arrêtais. Je suivais cet itinéraire par habitude, mais je me rendais soudainement compte qu’une courte portion de cette rue était aveugle de ses deux extrémités. Oui mais je n’avais rien à craindre commentais-je en moi-même. Oui mais cela ne me coûtait rien pour une fois de faire le tour, prendre le même itinéraire que la jeune femme. Je regardais derrière moi, puis devant, écoutais les sons qui me parvenaient. Rien d’autre que le vent s’engouffrant sous les toits. J’hésitai encore quelques secondes à rebrousser chemin puis, je me fis violence, me reprochant d’être un misérable trouillard et de risquer de raté mon train, j’avais déjà perdu de précieuses secondes, si j’hésitais encore longtemps comme ça pour ce qui n’était à n’en pas douter qu’une pauvre blague d’imbécile. Je cédais néanmoins à un sentiment d’urgence et de danger. Je me savais ridicule, mais je pressais le pas tout en essayant de rester le plus silencieux possible, malgré le bruit non dissimulable de mes pas, et guettais le moindre bruit suspect. Je passais le pan de mur sur mes gardes et poussait un soupir de soulagement en découvrant l’angle mort vide. Je changeais tout de même de trottoir pour éviter de passer trop prêt de l’ouverture sur une cour intérieure… Et sursautais violemment quand dans ma poche, mon portable vibra. Je luttais plusieurs secondes, éternelles secondes, pour l’extraire de ma poche…

« Derrière toi, dans l’ombre, je te regarde ».
Cédant à la peur viscérale qui couvait sous ma peau depuis le premier message, je me suis mis à courir, à courir sans me retourner. Je sentais en moi la peur couler, dans mes veines brûler. Cette angoisse qui me prenait, qui me vrillait l’estomac, qui transformait mes jambes en coton, rendant ma course incertaine et désespérément lente à mes yeux. Cette boule dans ma gorge qui me serrait tellement que j’avais du mal à respirer, et ces larmes qui dans mes yeux m’aveuglaient. Je courrais à en perdre halène, contre le froid et l’obscurité, contre ma peur et ce danger inexplicable, ce prédateur invisible que je pouvais sentir sans le voir. Je courais aussi vite que je pouvais, mais j’avais l’impression de ne pouvoir lui échapper. Celui qui me traquait était dans ma tête, il lisait en moi, il voyait en moi. Et il était derrière moi. De désespoir, je ne retenais plus mes larmes, de peur je courrais, je courrais pour ma vie… Je faillis renverser une vieille dame en débouchant sur l’artère principale menant à la gare. Cette dernière que jeta un regard noire que je ne vis qu’à peine car je ne m’arrêtais pas. Je courrais encore et encore jusqu’à l’entrée de la gare. En rentrant, je vis un employé me regarder une seconde avant de replonger dans la lecture de son écran. Mon Dieu, j’avais perdu tant de temps. Mon train était à quai et s’apprêtait à repartir. Je passais le portillon aussi vite que possible et me précipitais dans le wagon en face de moi et rentrais de justesse la porte claquant derrière moi. Je m’accrochais à la rembarre de l’escalier menant au pont supérieur, incapable de reprendre mon souffle. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, il faisait une chaleur accablante dans mon manteau. Laissant passer une minute ou deux, mes battements se calmèrent un peu et je pus reprendre mon souffle. Retirant mon manteau, j’essayais de me rendre une certaine contenance. Avais-je réellement couru comme un fou sur prêt de cinq cents mètres à cause d’un message sur mon téléphone ? Je devais être complètement fou. Mon manteau dans la main, je grimpais en haut des escaliers, soulagé d’arriver enfin dans un lieu où le danger me sembla soudain complètement irréel, et regardait devant moi. Il y avait en tout et pour tout, deux personnes ici. Un vieil homme au teint basané qui lisait son journal et une femme qui me tournait le dos. J’allais m’asseoir sur les places devant elle. Je m’asseyais toujours à cette place, encore une habitude. En face de moi il y avait une vitre me séparant du porte-bagages. Et dans cette vitre se reflétaient les places derrière moi. C’est comme ça que je vis que la femme derrière moi était la jeune femme que j’avais croisé un peu plus tôt dans la rue. Cette fois, je la reconnus comme étant un des passagers souvent présent à cette heure le matin. Il n’y avait jamais beaucoup de monde à cette heure et l’on faisait vite son palmarès de visage familier. Je la vis se pencher en avant pour prendre quelque chose dans son sac entre ses jambes, mais je me désintéressais aussitôt d’elle. Je me sentais mieux maintenant. Cette histoire de message ridicule, ma réaction plus encore. C’est alors que mon portable vibra. Cette fois débarrassais de ma peur, je sortis tranquillement mon portable de ma poche, m’attendant à y trouver un message de mon anonyme faiseur de blague du même genre que les premiers. Seulement cette fois il ne savait pas que j’étais dans le train et que son stratagème ne prendrait plus… Pendant que je lisais le message, à l’orée de ma conscience je perçus un son, une vibration, qui se répéta, encore et encore, encore et encore pendant que je lisais ces quatre mots.

« Je suis derrière toi »
Je n’eus pas le temps de me retourner, la lame pénétra mon cou sur le côté, étouffant mon cri naissant, se fraya un passage à travers mes tendons et jaillit à l’opposé. Dans la même seconde, la main qui tenait le couteau de chasse fit un mouvement de va-et-vient pour ressortir la lame par le devant de ma gorge en sectionnant au passage mes artères et ma trachée, éclaboussant la vitre en face de moi, sur laquelle je vis le regard de cette femme empli d’une rage bestiale se fixer sur moi.

Et alors que je perdais connaissance, ma vue s’obscurcissant, ne pouvant plus lutter pour endiguer le flot de sang qui se déversait de ma gorge ouverte, sans comprendre ce qui m’arrivait, la femme se pencha vers mon oreille est murmura, d’une voix douce et paisible, remplie de tendresse.

« Je te l’avais pourtant dit ». Elle fit une pause, semblant profiter de chaque seconde qui passait pendant que les gargouillis de ma gorge s’estompaient et que j’étais déjà aveugle, juste encore assez conscient pour savoir que je mourrais. Juste assez conscient pour comprendre ses derniers mots.

« Regardes derrière toi ».

Le vieil homme, impuissant, assista à scène. C’est lui qui tira sur la tirette d’alarme, stoppant le train en pleine voie. Quand les policiers arrivèrent sur place, ils trouvèrent la femme qui tenait encore dans ses bras le corps de cet homme qu’elle semblait bercer. À ses pieds, baignant dans le sang, le couteau, sur lequel s’accrochaient encore quelques morceaux de chair. Plus tard, aux enquêteurs et aux psychiatres, elle expliqua son acte, mais c’était là, à l’évidence, les propos d’une démente. Elle raconta, comment durant les trois dernières années, elle avait pris le même train que lui, comment elle en était tombée amoureuse, comment chaque jour elle s’était mise juste derrière lui, espérant qu’il la remarque. Elle alla même jusqu’à déménager dans un appartement proche du sien et elle guettait son arrivée chaque matin, elle l’attendait pour sortir… Elle remarqua combien il était régulier dans ses déplacements et s’arrangea pour le croiser à différent moment, dans la rue, en faisant ses courses. Mais jamais il ne leva jamais le regard sur elle, ou trop subrepticement. Elle le suivait presque chaque jour sans qu’il la remarque. Elle n’osa jamais l’aborder et finit par lui en vouloir terriblement de ne pas voir combien elle l’aimait.
Alors un jour elle décida que si la vie ne les réunissait pas, la mort le ferait... Mais elle n’eut pas le courage suffisant pour se trancher la gorge avec la même lame qui l’avait tué comme elle l’avait souhaité, elle n’eut pas le courage de mourir sur les lieux même où était né son amour pour lui… Elle l’avait aimé et cet amour l’avait rendue folle… Elle fut déclarée irresponsable de ses actes et finit ses jours dans un quartier de sécurité de l’asile Sainte-Catherine dans le Val d’Oise…

Une légende était née, et depuis, chaque matin, quand ils prennent le train, beaucoup d’hommes regardent derrière eux…


--- Eleken,
Bon je viens de finir cette "petite nouvelle" (2500 mots, 15000 caractères quand même) à l'instant, j'espère qu'elle sera apréciée et que j'aurais tout plein de commentaire de ma lectrice préférée demain main :o)... Sur ce bonne nuit parce que là je ne tiens plus debout...
... ... ...
MAJ
Fin rajoutée sur les bons conseils de ma lectrice préférée :o)

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