mardi 2 octobre 2007

Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici.

Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici.
Je ne savais pas. Au bord de cette falaise, cachée dans la forêt. Je venais parfois, en cachette, jouer ici, enfreignant l’interdiction de mes parents de venir jouer ici. Un accident est si vite arrivé.
Je ne sais pas pourquoi, j’étais à plusieurs centaines de kilomètres, quand je me suis réveillé… Il fallait que je vienne ici, ce lieu auquel je n’avais plus repensé depuis presque trente ans. J’ai pris ma voiture et j’ai roulé. J’ai roulé pendant des heures… Et me voici, admirant le scintillement du lac, en bas des rochers, sous la lumière de l’aurore. L’air est frais, la rosée mouille mes pieds… Je frissonne dans ma veste légère, mais c’est agréable… Je me sens bien… Et soudainement, je me rends compte que cela faisait longtemps que je ne m’étais pas senti aussi bien. Je n’ai pas une vie bien passionnante, consultant en informatique, je passe mes journées à répondre à des questions sans intérêt. Je ne suis pas marié, ma dernière aventure remonte à il y a deux ans, la dernière fois que j’ai aimé… Seigneur, tellement longtemps maintenant…
Je ne sais pas pourquoi je suis venu ici, mais un bruit dans les fourrés me sort de mes pensées… Une biche vient de s’extraire du mur de pins drus qui me cache à route à quelques dizaines de mètres de là… Elle me regarde, elle a l’air aussi surprise que moi d’être là. Une de ses oreilles chasse un insecte invisible, à moins que cela ne soit que l’expression de sa peur… Mais non, la voilà qui avance, plongeant ses yeux amandes dans les miens. Elle s’approche de moi et du bord de la falaise. J’ai l’impression qu’elle me parle, elle a une voix très douce, mais je suis incapable de comprendre ses paroles… Son regard s’attriste… Et à l’instant où finalement je bouge, elle fait un bond en arrière, semblant apeurée… J’arrête mon geste, je n’ai pas envie de la voir partir, sa présence, sans savoir pourquoi, m’est réconfortante… C’est ma compagne en ces lieux, sans comprendre pourquoi cette idée s’impose à mon esprit.
Elle fait encore un pas en arrière, puis se retourne, pour faire face au précipice. Elle se rapproche et plonge ses yeux dans le lac plus bas… Elle l’observe, sans bouger, pendant de longues secondes… Puis, avec une lenteur surnaturelle, s’avance… Et plonge dans le vide…
Je ne peux détacher mes yeux de son corps chutant sur la dizaine de mètres qui nous sépare du plan d’eau. Elle fait un tour sur elle-même, quand son corps heurte les rocher, avant de disparaître dans le lac dans une haute gerbe liquide…
Je suis encore effaré par ce qui vient de se passer… Puis je tombe à genou, les larmes ruisselant sur mon visage… Et je prie, je prie pour l’âme de cet animal… Qu’il trouve le repos…
Je ne savais pas pourquoi j’étais venu ici…
Mais j’ai su à cet instant que j’étais venu ici pour cela… Pour l’assistée, pour l’accompagnée dans ses derniers instant. Pour être son témoin.
La fatigue tomba sur moi comme une chape de plomb. Je me suis allongé sur le sol pour m’endormir ici même, dans l’herbe fraîche, sous la chaleur du soleil naissant…
J’ai su à l’instant où je fermé les yeux, qu’un jour je reviendrai ici…
Et que j’aurais un témoin…

--- Eleken,
Improvisation du mardi matin...
Je tiens à dire que là d'où je viens, il n'y a pas de lac,
mais je trouvais l'image plus belle que
"Son corps se disloqua et s'empala sur les rochers saillant qui l'attendaient en bas" :oP

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