lundi 10 mars 2008

Le sacre du néant

Il était penché par-dessus le gouffre. Sombre, fatal, morbide. Combien d'homme s'était jeté dans le vide, à cet endroit, avant lui ? Combien ? mille ? dix mille ? cent mille ? Comment le savoir. Verrais-t-il les rangées d'ossements avant de les percuter ? Est-ce là une information importante ? Quelque chose qu'il faut savoir ? "De toute façon, je ne pourrais pas leur dire" pensa-t-il pour clore le débat qui faisait rage dans son esprit. Il s'approcha encore, ses orteils dépassant dans le vide. Le vide... Comme son esprit, il se sentait vide de toute vie, de tout désire. Vivre ? Mais pourquoi voudrait-il encore vivre ? Il n'a jamais réussi à construire une famille, les siens le renient comme un paria... Il est loin de tout et de tous. Et ce gouffre là. Ce gouffre qui porte un nom de mort et de noirceur. Le gouffre de ceux qui vont là où nul ne va. Il y est. Au bord du gouffre. Prêt à faire le saut qui scellera son existence. Il veut mourir. Même si profondément enfui sous la noirceur de sa résignation, il y a encore un maigre espoir qui survit dans le froid et l'obscurité. Il espère, que quelqu'un l'arrête, que quelqu'un vienne l'empêcher de sauter, l'empêcher de mourir. Mais il n'y a personne. Personne. Longtemps qu'il est là, au bord du gouffre. Longtemps qu'il étend ses bras vers l'infini de l'après. Il aimerait qu'une main forte se pose sur son épaule et le tire, mais il n'y a rien. Que verra-t-il dans la mort ? Il espère qu'il ne verra rien. Que c'est là, la vraie fin de sa vie ? Il implore son dieu que cela soit. Il ne veut plus agoniser à nouveau...
Ce don de sa vie, il le fait avec plaisir, avec soulagement. Tout à coup, c'est l'instant. Il est trop tard, le saut et déjà fait. Plus de retour en arrière possible. Plus de possibilité de survie. Plus de passé, plus d'avenir. Seulement cet instant présent, puissant, qui électrise chacun de ses muscles, qui fait exploser dans son âme la quintessence du désire de survie. Ses pieds quittent le sol rocheux. Son corps s'élance dans le vide. La lumière, le sol. Chaque parcelle de ce qu'il voit prendre une nouvelle dimension, chaque détail est plus profond. Il ressent la vie dans chaque être qui peuple le désert. Il ressent leurs esprits. Il les entends. Il tombe... L'obscurité le gagne, la vie le quitte, il l'a laissé aux êtres qui vivent. Il n'est plus que corps, son esprit s'est déjà libéré... La chute s'accélère... Il perd les détails, la lumière disparaît, la sensation de poids, du temps, de l'être... Il tombe mais ne tombe plus, il meurt mais ne meurt plus... Pendant cette seconde extatique, il est tout, il est rien...

--- Eleken,
Un jour comme tant d'autre,
Un jour où il pleut.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Très joli texte. Je me souviens de ce qu'avait écrit Franquin après avoir réalisé ses fameuses "Idées Noires" (BD). "J'arrête, parce que ça me vient trop facilement". Il parlait d'arrêter le créneau de la face cachée des sentiments humain, et je crois qu'il parlait sainement. Sans remettre aucunement en cause ce que tu fais, peut-être devrais-tu de temps en temps faire une incursion dans le royaume du merveilleux et de la beauté. Tu sais, on n'y est pas mal, non plus. Prends ça comme un exercice littéraire...

Eleken a dit…

C'est étrange, il y a de cela seulement quelques jours, un ami proche m'a dit que je devrais commencer à lire autre chose, à écrire autre chose, qu'à force de sonder le mal et la douleur, loin de m'en soulager comme de par le passé, je finissais par m'en imprégner... Il avait peut-être raison, tu as peut-être raison... Je vais essayer - un peu - mais je ne m'éloignerais jamais trop de cet univer... Après tout, c'est de ce l'on connait que l'on parle le mieux ;o).
Je passerais faire un tour sur le forum du groupe et sur babel, j'ai promis à jpj de le faire, revenir à des activités plus sociales et formatrices. Merci pour ton message :o) et à bientôt

Eleken