mardi 12 février 2008

Extrait 2 - Le massacre d'Albert Croyant

Cette histoire, nous nous la racontions en chuchotant, cacher dans l’angle de la cour d’école, pour que le maître ne nous voit pas. Nous étions un petit groupe d’enfant, pas vraiment des amis, mais nous venions tous du même village. Nous nous racontions l’histoire pour nous faire peur, mais je crois au fond de moi, qu’aucun de nous n’y croyais réellement. C’était une sorte de fantasme enfantin, un défit que d’en parler, que de l’approcher. Il ne se passait pas une récréation sans que nous ne nous lancions le défit, « cette nuit, j’irais à l’intérieur, demain je vous raconte ». Et le lendemain, celui ou celle qui avait eu le malheur d’en parler revenait vers nous, n’en parlait pas, n’aborder pas le sujet, jusqu’à ce que l’un ou l’autre de nous finisse par rompre le silence. « Alors tu y es allé ? raconte ». Et là, n’importe quelle excuse faisait office de réponse acceptable « non tu comprends, mon père hier m’a obligé à couper du bois avec lui toute la nuit » ou bien « j’y suis allé, mais juste avant que j’y rentre, le veux flic m’a vu et il m’a relâché que ce matin ». Toutes ces excuses, toutes invraisemblables, devant lesquelles nous hochions gravement la têtes car elles étaient toutes plus tangible que l’histoire d’Hervé. « Moi j’y suis allé cette nuit, j’ai été poursuivit par le zombie de Croyant en personne. Même qu’à un moment il m’a chopé l’épaule avec ses ongles griffus. » Et là de nous montrer une égratignure qu’il avait sur l’épaule en nous jurant que c’était la marque de Croyant. Hervé, le petit Hervé, gentil, mais menteur jusqu’au bout des ongles. Hervé, que nous avions charrié quelques années plus tard en lui rappelant cette histoire, en lui disant qu’on ne le croyait pas et qu’on savait bien que c’était un « mytho » et que s’il voulait vraiment prouver qu’il était pas une « tapette », fallait nous ramener un truc de la cave à Croyant. Excusez-moi si le vocabulaire que j’emploie ici, est un peu familier, mais je retranscris l’histoire telle que je me la rappelle. Et en ce temps où j’étais un enfant, il s’agissait de termes usuels et normaux pour des enfants. Hervé donc, qui disparût la semaine suivante… Chaque jour, il nous disait « j’vais y aller les mecs, c’te nuit ». Chaque jour on lui répondait « ouais bien sûr, on se retrouve devant la porte, pas de ‘blême ». Hervé qu’on a jamais retrouvé. Nous, on a pas tout de suite pensé à la baraque de vieux Croyant quand le lendemain Hervé était pas dans le car. On a pensé qu’il était malade, mais aucun de nous ne l’a ouverte avant la récrée. C’était une sorte d’accord tacite, Hervé était malade, on en a parlé vite fait et personne n’a parlé de l’éventualité qu’il soit allé dans la maison des Chats. Le soir venu, j’ai joué et j’ai plus pensé à Hervé, même si ma mère avait l’air préoccupé. « Non, ce soir tu as des devoirs, tu ne vas pas jouer dehors ». Le lendemain, ma mère m’a accompagné jusqu’au car. C’était la première fois depuis longtemps. J’avais un peu honte qu’elle m’accompagne comme ça, comme si j’étais un petit. J’avançais la tête basse quand j’ai vu les autres, avec leurs parents aussi pour la plupart. Tous avaient l’air inquiets. Ils ne voulaient pas parler, mais une fois dans le bus, on a tous su. On savait déjà tous quelques part de toute façon, mais nos peurs furent confirmées. Hervé avait disparu. Sa mère l’avait bordé et, le matin d’hier, il n’était plus dans son lit. Et depuis hier, la nouvelle s’était répandue dans la vallée comme une traînée de poudre. Un gamin avait été enlevé. Ce gamin, c’était mon voisin, normal que ma mère n’est pas voulu me lâcher d’une semelle depuis que j’étais revenu de l’école la veille. Nous, ce jour là, on a rien dit avec les autres, mais on pensait tous la même chose je crois. On pensait que c’était notre faute. Qu’Hervé, il avait voulu nous prouver qu’il n’était pas une « tapette », qu’il était parti dans la nuit pour la maison de Croyant… Et qu’il n’en était pas revenu. Mais comme un pacte intime, de ceux qui lient sans le dire des enfants de notre age, nous n’avons rien dit à nos parents… Jamais. Et Hervé n’est jamais reparu. On a jamais retrouvé son corps, il n’est jamais revenu. Des années plus tard, après que sa mère soit partie pour quelque endroit, fuir le souvenir de son fils, son père s’est tué en voiture en tombant dans le ravin. Il était devenu alcoolique après la disparition d’Hervé. Il n’attendait que ça, la mort ou le retour d’Hervé, même si pour cette deuxième hypothèse, il n’avait aucun espoir. Et cette histoire m’a hanté des années durant. Comment l’oublier ? Je passais près de cette maison chaque jour. Je faisais comme tout le monde, je faisais semblant de ne pas la voir. Et puis j’ai grandi, de l’école primaire je suis allé au collège puis au lycée. L’histoire était lointaine, un vieux souvenir d’enfance, une vieille crainte dont j’ai petit à petit perdu la netteté. Petit à petit, avec lui, j’ai perdu de vue tous ceux avec qui j’avais partagé ce secret. Les uns étaient partis, avaient déménagé, et les autres, comme eux entre eux, je ne leur parlais simplement plus. J’étais devenu très taciturne et solitaire après cette histoire sans m’en rendre compte. Les années ont depuis creusé mes traits, appuyé mes paupières. Il faut dire que cela fait bien dix ans que je n’ai pas dormi d’un sommeil profond. Car où que j’aille, voilà des années que dans mon sommeil, j’entends leurs miaulements et leurs griffes qui grattent le bois de ma porte.
Après le lycée, avec le bac, je suis partis à une centaine de kilomètre de la maison, pour faire mes études d’informatique. Je revenais environ un week-end sur trois. Quand je n’étais pas au village, je m’amusais, je profitais de l’existence, de mes nouveaux amis, des drogues, des fêtes, des femmes que je rencontrais. J’existais et je ne pensais à rien d’autre. Mais quand je rentrais à la maison, c’était toujours avec une crainte que je n’osais pas cerner. Comme si mon esprit bloquait de lui-même l’information qui lui faisait peur. Quand j’étais à la maison, je ne sortais pratiquement pas et surtout pas la nuit tombée. Ma mère s’en étonnée mais elle a toujours accepté mon excuse consistant à dire, et ce n’était pas faux, que je n’avais rien de mieux à faire en week-end que de me reposer et lire. Et puis il y a eu une nuit, différente des précédentes. Ma mère avait recueilli une chatte errante sept ans auparavant. À l’époque c’était encore une petite boule de poils tout juste sevrée et ma mère n’avait pas résisté à cette petite peluche grise tigrée. En seulement quelques minutes elle avait élu domicile dans notre cuisine où la « petite grise » et devenue rapidement notre touigi. C’est étrange comme un gamin qui ne fréquente plus aucun camarade depuis des années peut voir surgir en un animal une compagnie providentielle. Ainsi, cette chatte, je me suis mise à l’aimer et apprécier ça compagnie et quand j’ai quitté la maison pour suivre mon cursus, m’en séparer fut presque plus dur que de me séparer de ma mère. C’était pour ma mère que je revenais à la maison, vérifier qu’elle allait bien, qu’elle ne souffrait pas trop de la solitude. Mais c’est sans doute grâce à cette chatte que j’ai maintenu un rythme de visite fréquent. Touigi, Touigi qui venait se lover entre mes genoux quand je lisais dans mon lit sous le faible halo de lumière. Cette chatte, qui un soir, une nuit, gratta à la porte de manière furieuse. Cette chatte que j’ai poursuivi dans la nuit… Cette chatte que j’ai essayé d’empêcher de rentrer… Dans la vieille maison de Croyant…

--- Eleken,
Allez hop, un 2ème petit extrait de ma nouvelle pour la 4ème antho chez lulu :o),
Bon je dois aussi faire la couv' c'est vrai. Demain, à la même heure j'aurais terminé mon partiel (ouf) j'espère que ce sera bien passer... J'aurais du temps pour écrire la suite on dirait

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