Je me nomme Émilie. Pourquoi commencer ainsi ? Pourquoi donner mon nom ? Bonne question. Excellente, même. Néanmoins sans intérêt. J’ai commencé, c’est tout. Et j’ai commencé par la dernière chose qui m’appartient. Mon nom. Le temps déchire ma conscience dans le tourment. J’ai tant de choses à dire et si peu de temps pour le faire. Je ne vais plus me le cacher, je vais mourir. Pourquoi ? Qui s’en soucie ? Moi ! Mais qui d’autre ? Il n’y aura personne de ma famille pour assister à mon exécution. Juste mes accusateurs et mon bourreau. Aujourd’hui, la vraie question n’est pas de savoir si je vais mourir, non, la vraie question est de savoir si je vais souffrir ou pas. Le bourreau sera-t-il compatissant avec moi ou non.
Ici, ça parle. Même isolée comme je le suis, j’ai des échos. Parfois, d’autres prisonnières qui, dans un murmure en me croisant, me glissent une menace ou des encouragements. L’une me souhaite de crever en hurlant, l’autre me dit que le bourreau sera compatissant et m’assommera avant de me faire monter sur le bûcher. Mais la plupart du temps, c’est le silence qui me sert de compagnon. Mon garde ne parle pas, ne me regarde pas, même lorsqu’il m’amène à manger… Parfois. Je devrais me dire chanceuse. Au mois, cette fois, je n’aurais pas été violée. Dans quelques minutes, il viendra, il ouvrira la porte et me poussera sans ménagement le long du couloir, vers la fin.
Comment accepter cela ? Comment j’en suis arrivée là ? Tout ce que je voulais, c’était faire vivre ma famille. Ma fille, qu’est-elle devenue ? Aujourd’hui, elle devrait avoir douze ans. Trois ans que je ne l’ai pas vue. Je suis partie un matin en lui disant que je reviendrais pour midi. Mais je ne suis jamais revenue. La milice m’a capturée. S’en sont suivi des mois d’horreur, de tortures, de sévices, de questions. Je ne compte plus le nombre de soldats qui ont abusé de moi. Mon corps est lardé de cicatrices, de brûlures de cigarettes, d’anciennes ecchymoses qui n’ont plus guéri à la fin. Cathy, es-tu encore vivante ? Tu n’avais que moi. Je n’ai jamais su. J’ai supplié les soldats d’aller la chercher, de la confier à un orphelinat. Mais je n’ai jamais su s’ils l’avaient fait. J’ai peur. J’ai peur qu’elle soit morte, ou pire, qu’elle vive de la rue comme jadis je l’ai fait. Qu’elle commette les mêmes erreurs qui m’ont conduite ici. Si seulement, mon Dieu, j’avais au moins l’assurance avant de mourir que ma petite est vivante… Après les tortures, les privations, les mois passés dans un cachot humide dans le noir, sans voir jamais la lumière du soleil, ils sont venus me chercher. Ils ont traîné mon corps à travers les couloirs. Je ne m’en rappelle plus très bien, la folie, le vertige de l’emprisonnement, m’avait complètement hébétée. Je me rappelle d’une sorte de cour, où l’on m’a posé des questions. Comme j’étais trop faible pour répondre, on répondait pour moi… Et on m’a condamnée… La mort, à mort, par le bûcher… « Hérétique » ont-ils dit, démente et vénératrice de la luxure et du démon… Tout cela, tout ce que je ne comprenais pas, ils l’ont dit pour moi et…
Je dois m’arrêter là, j’entends ses pas qui se rapprochent de la porte… Il va ouvrir… À vous qui allez lire ce message un jour, vous qui comme moi attendrez la mort, je vous dis, bonne chance. J’espère que votre fin vous sera plus supportable qu’à moi.
Adieu.
Avant que le cours de communication ne commence vraiment
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire