Je suis seul.
Ils ne me voient pas…
Enfin, je crois… Ils ne me voient pas, ne m’entendent… Non, c’est pire. Ils m’évitent et ne m’écoutent pas. Pourquoi ? Mais pourquoi ? Je sais maintenant qu’ils me voient. J’ai pu en faire l’expérience. En fait, c’est très simple. Je suis allé au milieu du trottoir et j’ai cherché à croiser leur chemin. Tous, sans exception, m’ont évité, sans un regard, avec le minimum de changement dans leur trajectoire. Je suis comme un aimant de même pôle, je repousse les autres en douleur, tout contact semble impossible. De la même manière, je sais qu’ils m’entendent. Quand je parle, ils n’ont aucune réaction, ils ne tressaillent pas une seconde comme quelqu’un qui m’aurait entendu mais ne voudrait pas me répondre. Non, ici, ils m’entendent mais m’oublis avant même d’avoir intégré l’idée que je parle ou que j’existe. Cela doit-être ça. Ils ne me perçoivent plus. Pour m’en convaincre, j’ai hurlé dans l’oreille d’une jeune femme… Elle n’a pas fait un mouvement… Par contre, elle s’est ensuite pressée l’oreille, se plaignant d’une légère douleur à son amie. Ainsi, j’avais quand même physiquement prise sur eux. J’ai marché, vivement sur le trottoir, ne me souciant pas de ceux qui m’entouraient et s’écartaient naturellement de mon chemin, puis j’ai vu cet homme. Complet veston, chapeau de feutre, mallette à la main. J’ai couru sur lui et je l’ai poussé de toutes mes forces. Il s’en fallu de peu qu’il m’esquive, mais il fut quand même déséquilibré et tomba. Sa mallette produit un son mat en frappant le sol, les regards se tournèrent vers lui… Mais pas vers moi… L’homme se releva, visiblement gêné… Il pensait sans doute s’être pris les pieds dans une saillie de dalle et avoir chuté bêtement, se ridiculisant devant des inconnus. Il n’a gardé aucune trace de moi. Pas plus de mes cris, ni du second croc-en-jambe que je lui ai fait lorsqu’il acheva de s’être relevé et qu’il rechuta tout aussi lourdement. Là, un jeune garçon et venu lui apporter son aide pour se relever… J’ai préféré partir… Il était évidant que tous mes efforts étaient inutiles.
Quand cela avait-il commencé ? Ce matin, je m’étais levé normalement… Mais j’habite seul, alors difficile de juger… Dans la rue, je ne connais personne… En tout cas, je n’ai croisé personne de ma connaissance. Et, c’est bien normal, personne ne m’a foncé dessus ou ne m’a adressé la parole. Au bus, il y avait plusieurs personnes à l’arrêt, je suis montée en même temps qu’elles… Comment savoir, si à cet instant j’étais encore « perçu ». Même le premier indice flagrant de mon état ne m’a pas sauté au visage… Je me suis arrêté à un kiosque à journaux où j’ai pris dans les rayons le dernier exemplaire de mon quotidien, je l’ai posé sur le comptoir et j’ai cherché dans mon porte-monnaie la monnaie pour payer. Je n’avais qu’un billet de cinq, que j’ai alors sorti, et relevant les yeux, j’ai pu voir le regard éberlué du vendeur qui regardé mon journal comme s’il n’avait jamais vu un journal de sa vie. J’ai agité un peu le billet dans ma main, pour tenter de capter son attention, mais il n’a pas cillé… Il a alors secoué la tête et soufflant, passant à autre chose semble-t-il, je le suivi du regard quand je le vis reprendre mon journal et le remettre ne rayon. J’ai eu beau protesté, lui arguant que ce journal était le mien, il ne m’accorda même pas un regard. Je repris le journal et le reposé sur le comptoir, quand enfin, l’homme parla… A un homme qui venait de se glisser sur ma droite et qui achetait lui aussi un journal. L’homme tendit son argent, le vendeur plaisanta avec lui, lui rendit sa monnaie, l’homme s’en alla… Tout cela devant mes yeux éberlué par cette scène. Rouge de rage, je balayais le comptoir de la main, envoyant volet les feuilles du quotidien par terre, ce qui attira l’attention du vendeur qui grogna d’incompréhension tandis que je partais avec mon humeur.
Ce n’est qu’une fois au travail, que j’ai compris qu’il se passait quelque chose d’horrible. Quand mon patron pénétra dans mon bureau et demanda à mon collègue où j’étais. Et pourtant, je lui avais bien dit « bonjour »… Mais m’avait-il répondu ? Et la veille ? Je n’avais pas parlé à qui que ce soit la veille aussi… J’étais peut-être déjà soumis à ce sortilège affreux. Car oui, il ne pouvait s’agir que de magie noire et conspiration du gouvernement contre moi. En effet, je n’avais jamais entendu parler d’une maladie où l’on perdait cette capacité d’être perçu… Mais quel idiot je suis, bien sûr que l’on en jamais entendu parler, puisque que ceux qui l’on subit n’ont jamais plus pu communiquer avec les autres. Je me croyais seul, aujourd’hui, je sais ce que c’est de l’être. J’ai essayé d’appeler ma mère au téléphone… Peine perdue, elle a répondu, mais ne m’entendait pas quand je parlais. J’ai essayé d’écrire sur une feuille, d’agiter des objets sous les yeux des autres, mais c’est à croire que tout ce que j’ai pu faire n’a plus d’existence. Comme si ce que je faisais de mes mains héritait de la même malédiction que moi.
Huit mois plus tard.
Huit mois… Je compte les jours maintenant… Huit mois que je suis seul… Deux cent quarante huit jours maintenant… Je me suis habitué à vivre seul… Pas à être seul… Je ne me lave plus, ne change plus de vêtements. Je suis sale, je pu, mais qui s’en soucis ? Personne. Je continu d’habiter mon petit appartement. Mes loyers impayés s’accumulent, mon patron à engagé un nouvel employé puisqu’il ne me voyait plus venir au travail et que je ne répondais plus au téléphone. De toute façon, il ne m’entendait pas. Je vis de larcin. Je vole dans les magasins de la nourriture et des vêtements. Je vis même plutôt bien… Tout ce que je touche devient invisible aux yeux des autres. Il m’a donc était très facile de rentrer dans des magasins et de repartir avec tout ce donc j’avais besoin. Mais ce n’est pas ce qui est dur à vivre… Le plus dur…
Huit ans plus tard
C’est d’être seul. Toujours seul. Ma famille me croit mort, mon appartement a été reloué, mes biens vendu aux enchères. Le plus dur, c’est de voir comment ce que je croyais connaître m’ont vite oublié. Ma mère a enlevé petit à petit toute les photos de moi. Après avoir vécu quelques semaines au milieu de cette famille d’immigrés qui avait reloué mon appartement, je n’ai plus supporté que me soit rappelé chaque instant mon état. Alors je suis reparti dans le sud, dans la maison familiale. Mais ce fut pire. Voir mes parents bouleversés par ma disparition… Puis pire encore… Petit à petit, je les ai vus m’oublier. Alors je suis parti… J’ai voyagé un peu. Dans des lieux inconnus, pour ne voir, toujours, que la misère et la haine derrière les façades commerciales que l’on présente aux touristes. Partout, le même désespoir, la même triste, la même douleur… Mais aussi, partout, la famille, les amis, les autres, leur soutient… Et moi, je suis seul… Alors je suis revenu ici. Je m’amuse à tromper la mort, traverser tranquillement l’autoroute. Voir ces autres qui ne me voient pas, ralentir, m’éviter de peu, parfois faire un tête-à-queue, sortir de route… Mourir.
Je me hisse de plus en plus souvent sur le toit d’une haute tour, et j’écris. Mon histoire. Peut-être que quand je serais mort, ce que j’ai fait pourra être lu… Quand j’aurais terminé ces pages, je me lèverais. Je sauterais. Les autres verront t-il mon corps quand je mourrais, ou bien piétineront-ils mes restes pourrissant pendant des mois ?
A cet instant une main se pose sur mon épaule. Je hurle de peur en me retournant, en tombant au sol de ma chaise, renversant mes dernières feuilles. Une femme se tient face à moi… Elle me regarde. Elle me parle… Elle me dit « Toi aussi… ». Je me lève, les lèvres tremblantes. Je m’approche d’elle.
Je la serre dans mes bras.
Je pleure.
Je ne suis plus seul.
lundi 10 décembre 2007
Les autres
--- Eleken,
La nouvelle du lundi,
Ecrite ce midi vite fait.
Ecrit par Eleken à 13:51
Catégorie : Mes textes, Nouvelles
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