Je marchais, cadençant mes pas sur ma respiration, de manière précipitée.
Les pavés de couleur, allant du beige au gris foncé, défilaient sous moi comme un vol de pigeons des villes. Je relevais les yeux, il n’y avait pas d’espoir à l’horizon, il n’y avait plus de lumière dans ma vie… Elle m’avait quitté. Comme une porte de prison, la solitude s’était refermée sur moi et m’emprisonnait dans la redondance de mes pensées abjectes et morbides. Combien de fois ces derniers jours j’avais pensé à le faire. Prendre le temps, acquérir le courage. Peut-être que si je le faisais, les autres verraient à quel point ils avaient tenu à moi. Sûrement, sûrement que si je disparaissais, sordidement, violement, les gens se souviendraient combien en fait ils m’aimaient. Je pensais beaucoup à tout cela ces derniers temps de solitude et à chaque fois je finissais mes pensées par une laconique illumination de stupidité. Ces gens, qui aujourd’hui ne me manifestaient pas la moindre compassion, n’en manifesteraient pas plus demain quand je serais mort. Oh bien sûr, ils viendraient tous aux nouvelles, échangeraient des potins, des anecdotes sur moi. Mais sur la somme, combien viendraient se recueillir sur ma tombe, combien penseraient encore à moi dans un an. Je n’étais même pas sûr que ma propre mère pense encore à moi dans un an, tout occupée qu’elle sera à chérir sa première petite fille, ma nièce à naître des entrailles de ma sœur… Ma sœur si, je crois qu’elle pensera encore à moi. Ma sœur et moi n’avons jamais vraiment entretenu des relations très étroites, nous avons grandi dans la rivalité sans jamais être vraiment très proche… Et pourtant, c’est probablement le membre de ma famille dont je sois le plus proche, et dont je regrette le plus de ne pas être assez proche. Elle se rappellera de moi, ne serait-ce que parce lorsque nous étions plus jeunes c’est moi qui me chargeais de nous protéger des disputes des parents. Pourquoi, aujourd’hui, jour de pluie plus qu’un autre, je me perds dans ces considérations, pourquoi ce jour ne puis-je plus affronter ma vie ? Parce qu’aujourd’hui j’ai le sentiment d’être seul, loin de tout, loin de mes amis, loin de ma famille… Je ne suis qu’une statistique, un homme perdu dans la folie des grandeurs parisiennes, arraché à son petit pays du sud par les aléas de son existence, par ses choix et ses erreurs. Je suis un homme qui croit que le bonheur existe, qui parfois l’a possédé mais qui, comme beaucoup, n’a pas su le garder. J’ai mal en ce jour de mai, alors je pleur sur moi-même, je souhaite la mort, je veux la mort… Et pourtant je ne lui ouvrirais pas même si elle vient frapper à ma porte… Je dois me battre, pour moi, pour vous, pour elle… Tu es partie, mais cela ne veut pas dire que je ne dois plus te protéger… Non ! Arrête donc d’être si stupide ! Elle est partie, elle ne reviendra pas… Mais je dois me battre, pour les hommes, pour mes choix, pour ma famille, pour moi… Pour moi…
Un oiseau s’est envolé à mon passage, je change de trottoir. La pluie continue de tomber dru sur mes épaules recouvertes d’un manteau de cuir et sur ma tête nue. De mes cheveux, ruisselle toute la beauté de la nature qui s’exprime. J’aime sentir le contact de la pluie sur mon corps, j’aime avoir froid de la pluie, sentir ses doigts fin et habile se glisser par le moindre interstice de mes vêtements et venir caresser ma chair. La porte de mon immeuble se profile devant moi, sombre parmi les ombres. Je compose le code et rentre dans le hall. C’est fini, tout est fini… La marche est terminée. À cet instant je décide que ma vie, elle, doit commencer. Mon nom est Alexis, mais ce n’est pas mon nom, ne l’oubliez jamais. Je suis un enfant et j’ai toujours eu l’impression que mon rôle dans ce monde serait important. Aujourd’hui je comprends que c’est à moi de faire que le rôle de mon existence soit important. Je ferme violement les paupières et les presse de toutes mes forces jusqu'à ce que des éclairs de couleurs jaillissent. Je contemple le rouge et danse avec lui.
Cette couleur qui en mon âme palpite et vit.
À l’aube.
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