Sa mâchoire se rapprochait de moi, effroyable et immuable, le temps continuait sa progression bien trop rapide vers l'instant qui verrait ma mort maintenant inévitable. Il se rapprochait et rien ne pourrait l'en empêcher. Inéluctable, ainsi se présente le destin pour moi qui me suis battue depuis si longtemps... Pour rien, tout ça pour rien... Je n'aurais pas réussi à expier de mes pêchers. C'est étrange, l'instant est presque serein, c'est trop rapide pour laisser la peur m'envahir. Je pense plutôt. La scène devant mes yeux s'efface, et me replonge dans un passé où tout ceci n'était que chimère et délire que l'on racontait devant le foyer pour endormir les enfants et leurs faire oublier le froid qui régnait entre les murs de chaux.
Mon père, haut de taille, se réchauffait les mains. Le froid de l’hiver, au dehors, mordait la chair comme une bête et obscurcissait la vision du plus vaillant. La terre était dure comme la pierre et le travail aux champs était devenu impossible depuis plusieurs jours. Mon père marmonnait dans sa barbe qui commençait à blanchir comme ses cheveux. « C'est le plus mauvais hiver qu’on ait eu de ma vie », dit-il. Il rajouta que même quand il était encore gamin, il ne se rappelait pas d’un froid si pénétrant. C’était avec difficulté que nous maintenions dans la chaumière la température au-dessus de zéro. Ce matin encore, ma mère avait trouvé le pichet contenant l’eau à boire, gelée. Faire les trente mètres qui nous séparaient du puits, était devenu une épreuve de plus dans nos vies déjà bien fatiguées. J’avais maintenant presque seize ans mais déjà mes mains portaient les stigmates du travail dur de la terre. L’heure où mon père trouverait à me marier se rapprochait un peu plus chaque jour, aussi goutais-je de cet enfermement forcé avec délectation. J’avais bien conscience que c’était probablement là mes derniers jours de naïveté juvénile. Je ne le savais pas encore, mais dans quelques heures, ma vie basculerait dans un cauchemar d’où, depuis, je ne me suis jamais réveillé. Un soir, mon dernier soir d’humanité, le dernier soir de chaleur et de doux liens familiaux… Le dernier soir où je ne fus pas seule. Aujourd’hui, si je n’avais ce terrible fardeau, je souhaiterais être morte. Mon père, ma mère, notre seigneur, tous morts depuis des siècles… Tous morts en cette nuit de sang…
La scène se rematérialise devant mes yeux. Ses mâchoires, ses griffes, sa peau brune écailleuse recouverte de petits piques. Je prends alors subitement conscience que ma main repose toujours sur le pommeau de mon épée… Encore quelques centimètres et ses dents effilées se refermeront sur mon corps. Je n’ai pas le temps penser, tout est trop rapide, c’est par réflexe que j’agis. Ma lame quitte son fourreau, fend l’air et se plante maladroitement dans son cou juste au-dessous de la mâchoire, déviant à la dernière seconde sa mâchoire de la trajectoire de mon ventre. Ses dents mordent mon bras gauche, ses griffes tracent des sillons sanglant sur mon flanc, mais sa surprise lui fait lâcher prise et il me heurte de tout son poids envoyant mon corps loin du point d’impact. Je vole sur plusieurs mètres avant de percuter le tronc d’un arbre et heurter le sol boueux avec violence. Le méphitique tombe à quelques mètres sur ma gauche et glisse encore un peu avant de s’arrêter. La terre et les restes de neige commencent à se colorer de mon sang. Mon épée n’est plus dans ma main. Je suis étourdie par le choc, ma vue obscurcit par un voile noir… Mais je sens l’urgence, je ne dois pas m’évanouir… Ce méphitique va se relever, le maître doit déjà être en train de s’approcher de moi. Il faut que je me relève, il me faut mon épée, il faut que je me batte. De toute la force de ma volonté je me mets sur mes genoux, la tête encore basse, mon esprit encore confus. Je sais que mes blessures sont profondes et que je ne peux plus gagner ce combat, il me faut trouver un moyen de fuir. Mais mes muscles tremblent, ma vue ne revient pas et, pire que tout, le pas de l’ancien se rapproche précipitamment de moi… C’était bien pensé de sa part, il savait que même si l’attaque de son disciple échouait, il pourrait m’achever au sol quand je retomberais… Ses pas, lourds et rapides… Son souffle pestilentiel, ses crocs infiniment plus dangereux que ceux de son disciple, sa perfidie… Je dois trouver un moyen de survivre, je dois trouver un moyen de vivre… Je dois VIVRE !
plus en plus dur de trouver une issue mais promis,
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