Chaque fois que je regarde la Lune, un frisson, froid et piquant, parcourt mon échine. Cette nuit est la pire du cycle… C’est la pleine lune. Depuis longtemps, les nuits claires comme celle-ci, je ne dors plus. Les oiseaux de nuit chantent encore leur refrain funèbre, c’est signe de calme. Le vent léger flirt avec mes cheveux dont le blond reflète la lueur des étoiles. Je songe, je pense, je me replonge dans mon passé… Un temps où j’étais une petite fille.
Mes parents étaient d’honnêtes paysans, travaillants durs à la tâche, les quelques hectares dont nous avions la charge. Notre seigneur, loin d’être un mécène, était un homme néanmoins juste avec ses sujets et veillait sur nos récoltes avec fermeté et bienveillance. Je me rappelle toujours de ce jour de printemps froid et pluvieux où il était venu sur son cheval, entouré de deux vassaux. Il était descendu lui-même et avait marché vers mon père qui tentait de faire avancer notre vieux cheval malgré la pluie et la boue. J’étais dans la charrette, très petite, intimidée par l’homme qui s’approchait, j’étais restée cachée derrière un sac. Notre seigneur avait salué mon père, lui avait demandé, comme à un égal, si le travail n’était pas trop dur, si la pluie n’était pas trop froide. Mon père lui avait répondu qu’une pluie n’était pas assez froide pour l’empêcher de faire son travail pour son seigneur. L’homme avait alors souri d’un sourire sans joie, une ombre au fond des yeux. Ses épaules s’étaient affaissées imperceptiblement et, curieusement, à cet instant je n’avais alors vu qu’un vieil homme et non plus mon seigneur… Il avait relevé la tête et posé une main sur l’épaule de mon père très surpris de ce geste. Et l’homme avait dit ceci à mon père : « Mon ami, ces quelques plants ne valent pas votre vie. Rentrez chez vous, n’attrapez pas la mort alors que vous ne pouvez rien contre le temps si Dieu a décidé qu’aujourd’hui, il ferait gris. Rentrez chez vous, peu m’importe que votre quota ne soit pas rempli à temps, je sais que vous êtes un loyal sujet. » Mon père ne sut que répondre, il bredouilla, puis enfin parut se ressaisir et remercia notre seigneur de sa sagesse et de sa bonté. Le vieil homme sourit et remonta sur son cheval avant de s’éloigner sans se retourner. Mon père ne dit pas le moindre mot en remontant sur la charrette et fit sortir le cheval du champ pour nous ramener dans la chaleur de notre minuscule chaumière. Ma mère fut surprise de nous voir revenir si tôt. Mon père ne lui raconta pas exactement ce que notre seigneur avait dit. Il se contenta de lui dire que nous étions heureux d’avoir un homme sage pour nous gouverner. Ma mère s’inquiéta néanmoins et mon père dut la rabrouer pour qu’elle cesse de poser des questions. Ce soir-là, nous avons mangé en silence, mais je me sentais heureuse. Plus tard, je me suis rendu compte que c’est parce que j’avais l’impression d’avoir gagné un nouveau parent par le biais de notre seigneur. L’image d’un grand-père sévère, mais bienveillant.
Les années qui suivirent, je n’avais jamais manqué de lui rendre respect à chaque fois qu’il passait par le bourg. La plupart du temps, il ne m’accordait même pas un regard, mais à deux ou trois reprises, il me sourit légèrement. Les années passèrent, je grandissais et passais de gamine à jeune fille, travaillant aux champs avec mon père, il ne se passait pas une semaine sans qu’il ne me dise à qu’elle point je devenais belle et qu’il me conseille d’être prudente avec les hommes qui pourraient m’approcher… En choisir un gentil, si possible avec une bonne dot… Remarque qui ne manquait jamais de faire rire mon père… Et qui me terrifiait en secret.
Quelle chose m’arracha à mes songes… Je scrutais l’obscurité, tendait l’oreille… Rien… Le silence… Quoique ce soit, quelque chose approchait. Tous les oiseaux du bois se sont tus à l’unisson. Un lièvre arrive sur moi, il court, comme si la mort était à ses trousses. Il dévie légèrement sa course en me voyant et passe à ma droite. J’aurais pu le saisir pour m’en nourrir si je l’avais voulu, mais je suis inquiète par tous ces signes de danger.
C’est l’un d’eux… Il approche de moi… Il sait que je suis là.
(que je ne respecterais pas bien sûr ^^).
... Enfin presque :op
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